L’audience judiciaire du 5 décembre, décidant de l’éventuelle suspension du site Shein, est l’un des outils coercitifs existants pour surveiller ces géants de l’e-commerce.
Cette chronique est proposée par Céline Cuvelier, avocate, associée chez Bcube Avocats.
La découverte de produits illicites sur la plateforme chinoise Shein, le 31 octobre 2025, au même moment que son arrivée dans plusieurs enseignes du territoire, a mis en lumière la difficulté de contrôler la conformité des produits proposés à la vente par les géants d’internet.
La réaction des pouvoirs publics, des autorités administratives et judiciaires, ne s’est pas fait attendre. Trois procédures ont été initiées : une enquête judiciaire pour infractions pénales à caractère pédopornographique et diffusion de contenus illicites, une procédure administrative de suspension de la plateforme et une enquête coordonnée au niveau européen, sous l’égide de la Commission européenne, dans le cadre du Digital Services Act.
La plateforme a immédiatement réagi en suspendant l’accès aux produits de ses vendeurs tiers en France et en supprimant les produits illicites visés.
Une régulation en 3 actes
Le cas de Shein n’est malheureusement pas isolé. Il illustre comment les autorités françaises et européennes (via la compétence de la Commission) peuvent mobiliser un ensemble de leviers pour réguler des plateformes étrangères qui vendent des produits illégaux ou dangereux en ligne.
Cette affaire est aussi intéressante en raison du statut de cette plateforme. Shein vend directement une large part des produits sous sa propre marque, tout en hébergeant aussi des vendeurs tiers via sa marketplace.
Elle a la double casquette de vendeur professionnel et celles de fournisseur de plateforme soumis au règlement européen Digital Services Act.
Qu’un site soit opéré depuis l’étranger n’empêche pas l’application du droit français dès lors qu’il cible des consommateurs situés en France (site en français, livraison en France, prix en euros).
La voie administrative
Depuis la loi DDADUE du 14 juin 2020, la DGCCRF possède de pouvoirs renforcés pour agir contre les plateformes étrangères. Elle dispose, notamment, d’un pouvoir d’injonction numérique lui permettant, après avoir constaté une infraction ou un manquement de la part d’un professionnel non identifiable ou refusant de se conformer à une première injonction, d’intervenir directement.
La DGCCRF peut ordonner à des tiers (moteurs de recherche, magasins d’applications, fournisseurs d’accès à internet ou gestionnaires de noms de domaine) d’afficher un avertissement sur le site ou l’application concernés. Ou encore, lorsque l’infraction constatée constitue un délit puni d’au moins deux ans d’emprisonnement, de procéder à un déréférencement, une restriction d’accès ou un blocage du nom de domaine.
Le non-respect de ces mesures fait l’objet d’une sanction d’un an d’emprisonnement et de 250.000 euros d’amende pour une personne physique, le quintuple pour une personne morale. La publicité de la sanction est aussi prévue.
En lien avec les services douaniers, la DGCCRF peut aussi contribuer à des saisies ou des retraits de produits dangereux ou illicites importés via e-commerce, avant leur mise sur le marché.
Une procédure administrative peut être menée indépendamment d’une action judiciaire, tout en pouvant la précéder ou la renforcer dans les cas les plus graves.
La voie judiciaire française
L’article 6-3 de la loi pour la confiance dans l’économie numérique (LCEN) confère au président du tribunal judiciaire le pouvoir d’ordonner toutes mesures propres à prévenir ou faire cesser un dommage causé par le contenu d’un service en ligne.
Le juge peut ainsi, à la demande du ministre compétent bloquer l’accès à tout ou partie du site, ordonner un déréférencement ou toute autre mesure technique proportionnée.
Les intermédiaires techniques bénéficient d’un régime de responsabilité allégée s’ils n’adoptent pas un rôle actif et s’ils agissent promptement après notification suffisamment précise d’un contenu illicite, conformément à la loi LCEN et à la jurisprudence européenne.
Le poids du DSA européen
Dans deux arrêts rendus le 22 juin 2021, la Cour de justice de l’UE a réaffirmé l’absence d’obligation générale de surveillance assortie d’une obligation d’agir promptement après connaissance effective.
Le DSA précise que l’exonération de responsabilité de l’hébergeur (art. 6, §1) ne s’applique pas lorsque le destinataire du service agit sous l’autorité ou le contrôle de la plateforme (art. 6, §2).
Pour les sites de vente, cette exonération ne vaut pas non plus lorsque la présentation du site est telle qu’un consommateur moyen peut croire que le produit ou le service est fourni directement par la plateforme ou par un vendeur placé sous son autorité (art. 6, §3).
Les plateformes de très grande taille sont tenues à une obligation de diligence dans la détection et le retrait des contenus illicites (articles 16 et 17 du DSA) ainsi qu’à la mise en place d’un système interne de gestion des réclamations (article 20).
Elles doivent également publier un rapport annuel de transparence sur les mesures de modération (article 42) et réaliser une analyse annuelle des risques systémiques liés à la diffusion de contenus illégaux ou dangereux (article 34).
Elles encourent des sanctions administratives lourdes en cas de manquement, pouvant atteindre 6 % de leur chiffre d’affaires mondial (article 74 du DSA).
L’action en contrefaçon
Depuis le 13 décembre 2024, le règlement européen relatif à la sécurité générale des produits impose aux fournisseurs de places de marché en ligne de mettre en place des processus internes pour traiter les injonctions.
Ils doivent aussi surveiller, tenir compte des alertes du portail Safety Gate, identifier, retirer ou rendre inaccessibles les offres de produits dangereux, et informer l’autorité ayant notifié dans Safety Gate des mesures prises. Le non-respect de ces mesures est pénalement sanctionnable.
Lorsque les produits vendus reproduisent une marque, un modèle ou une création protégée, l’action en contrefaçon demeure la voie prioritaire, avec des sanctions civiles ou pénales encourues.
Enfin, le code de la consommation constitue un outil efficace pour voir sanctionner des pratiques commerciales trompeuses et, plus largement, des délits prévus par le code de la consommation.


