Le nombre record de signataires de la pétition contre la loi Duplomb provoque quatre scénarios sur l’avenir de ce texte législatif controversé. Décryptage.
Une dizaine de jours après avoir été lancée, la pétition contre la loi agricole Duplomb a dépassé 1,7 million de signataires sur le site de l’Assemblée nationale.
L’engouement pour cette pétition est exceptionnel. Cependant, peut-il vraiment changer l’avenir de ce texte législatif ? Quatre scénarios sont possibles.
Cette loi, définitivement adoptée le 8 juillet dernier, vise à assouplir les contraintes pesant sur le métier d’agriculteur. Elle facilite les projets d’élevages intensifs et de mégabassines.
Surtout, ce texte réintroduit à titre dérogatoire et sous certaines conditions, l’acétamipride, pesticide de la famille des néonicotinoïdes. Interdit en France depuis 2018, ce pesticide est autorisé en Europe jusqu’en 2033, ce qui entraîne une « concurrence déloyale » des agriculteurs européens sur les Français, selon les partisans du texte.
1. Une censure du Conseil constitutionnel
Le sort de cette loi Duplomb est, d’abord, entre les mains du Conseil Constitutionnel. Un recours a été déposé par les groupes Écologistes et Socialistes, la France insoumise (LFI-NFP), et la Gauche démocrate et républicaine. Des députés du PS ont aussi saisi les Sages, le 11 juillet.
Ces parlementaires estiment que la réintroduction du pesticide est incompatible avec la préservation de l’environnement et le droit à la santé.
Sur la forme, ils dénoncent les conditions d’examen du texte. Les députés PS soulignent que la motion de rejet préalable – ayant empêché tout vote à l’Assemblée nationale – « doit s’analyser comme un détournement délibéré de la procédure parlementaire contraire à sa finalité, dont il résulte une atteinte caractérisée à la sincérité du débat législatif ».
Le Conseil constitutionnel dispose d’un délai d’un mois pour examiner ces deux recours. À l’issue de cette analyse, si le texte est jugé, tout ou partie, inconstitutionnel, il sera censuré. La loi ne sera donc pas promulguée dans sa version initiale.
Au contraire, si les Sages rejettent les arguments des parlementaires et jugent le texte conforme à la Constitution, elle devra être promulguée dans sa première version.
La promulgation n’est pas un choix, c’est une obligation du président de la République. Cependant, selon l’article 10 de la Constitution, il peut demander au Parlement une seconde délibération du texte avant de le signer, à condition d’obtenir l’accord du Premier ministre.
| Bon à savoir : Sous la Ve République, seules 3 lois ont été réexaminées à la demande du Président de la République. Il s’agissait de François Mitterrand et de Jacques Chirac, en 1983, 1985 et 2003. |
2. Un débat sans vote à l’Assemblée nationale
Le sort de cette pétition contre la loi Duplomb se trouve, de toute façon, entre les mains des parlementaires. Dès qu’une pétition atteint 500 000 signatures, issues d’au moins 30 départements ou collectivités d’outre-mer, la Conférence des présidents de l’Assemblée nationale peut décider d’organiser un débat en séance publique.
Cette instance, composée des présidents des commissions, des rapporteurs généraux et des présidents des groupes parlementaires, est libre d’inscrire la pétition à l’ordre du jour de sa prochaine réunion, le 16 septembre.
Si la conférence des présidents s’accorde, la pétition sera débattue devant l’Assemblée nationale.
Cependant, il s’agit d’un simple débat parlementaire. Il n’y aura pas de vote. La loi Duplomb ayant déjà été définitivement adoptée, il est impossible de la modifier par ce biais.
3. Des décrets d’application non publiés
Si ce texte législatif n’est pas censuré par le Conseil constitutionnel, dans un souci d’apaisement du débat public, le président de la République peut demander au gouvernement de ne pas publier les décrets d’applications. Ainsi, la loi ne sera pas appliquée immédiatement.
Un peu de temps sera accordé aux opposants du texte pour déposer une proposition de loi modifiant ou abrogeant la loi Duplomb.
En 2006, lors de la crise du CPE, le président Jacques Chirac avait opté pour cette stratégie. Il avait promulgué la loi comme l’exige la Constitution tout en demandant à son gouvernement ne pas publier les décrets d’applications. Une proposition de loi de dérogation avait pris durant ce délai et le CPE n’a jamais vu le jour.
4. Un référendum d’initiative partagée
Enfin, si la pétition atteint 4,9 millions de signatures un an après sa promulgation, un référendum d’initiative partagée (RIP) pourrait être envisagé. 185 députés et sénateurs devront aussi être signataires.
Une fois ces soutiens obtenus, le RIP prend la forme d’une proposition de loi. Elle sera enregistrée auprès de Conseil constitutionnel chargé d’un premier filtre.
Les Sages ont un mois pour juger de sa conformité à l’article 11 de la Constitution. Si c’est le cas, cette proposition de loi ne se transforme pas pour autant immédiatement en référendum. Les citoyens disposent de neuf mois pour la signer sur une plateforme mise en place par le gouvernement.
Une fois la signature d’un dixième d’électeurs obtenue, la proposition de loi est soumise au Parlement. L’Assemblée nationale et le Sénat ont six mois chacun pour l’examiner et la modifier.
S’ils ne le font pas, alors le président de la République n’a plus d’autres choix que de soumettre la proposition à référendum auprès des citoyens.

