La cour d’appel de Paris est la première juridiction étrangère à émettre un mandat d’arrêt contre le président syrien Bachar-el-Assad. En voici les conséquences.
Cette chronique partenaire est rédigée par Laura Petiot, juriste, chargée d’enseignement à l’université et présidente de LP-CONSULTING.
Après le dépôt d’une plainte avec constitution de partie civile en 2021 par le Centre syrien pour les médias et la liberté d’expression, une dizaine de victimes franco-syrienne et trois autres associations, les juges d’instruction du pôle spécialisé dans la lutte contre les crimes contre l’humanité ont enquêté sur la chaîne de commandement.
Plus particulièrement, il s’agissait des attaques perpétrées en Syrie dans la nuit du 4 au 5 août 2013 à Adra et Douma (450 blessés), ainsi que celle du 21 août 2013 dans la Ghouta orientale (plus de 1000 civils morts). Elles ont été les plus meurtrières du conflit syrien.
Trois ans d’enquête
Les investigations ont été confiées par les juges à l’Office central de lutte contre les crimes contre l’humanité et les crimes de haine (OCLCH), une unité spécialisée de la gendarmerie nationale, compétente pour enquêter sur les crimes internationaux les plus graves.
Elles se fondent notamment sur des photos, des vidéos, des cartes, des témoignages.
Au terme de trois ans d’enquête, les juges d’instruction du pôle spécialisé dans la lutte contre les crimes contre l’humanité du tribunal judiciaire de Paris ont émis, le 14 novembre 2023, quatre mandats d’arrêt pour « complicité de crimes contre l’humanité et complicité de crimes de guerre » à l’encontre de Bachar al-Assad, son frère Maher al-Assad chef d’une unité d’élite de l’armée syrienne, ainsi que deux généraux.
Par la même occasion, ils ont ainsi créé un précédent judiciaire. Jamais une justice nationale n’avait encore émis un mandat d’arrêt contre un chef d’Etat en exercice.
Que dit le droit ?
L’émission d’un mandat d’arrêt par la Cour Pénale Internationale (CPI) est exclue. La Syrie n’en est pas membre, elle n’est pas partie au Statut de Rome.
Or, la Cour n’est compétente qu’à l’égard des crimes commis sur les territoires des États parties, ou par des ressortissants des États parties, ou dans les situations déférées à sa compétence par le Conseil de Sécurité des Nations Unies (Article 12 du Statut).
En outre, toute tentative d’agir par le biais du Conseil de Sécurité est bloquée par les vétos russe et chinois.
En l’espèce, les mandats d’arrêt émis par les juges français sont des mandats d’arrêt nationaux pris sur le fondement des articles 131 et 689-11 du Code de procédure pénale qui pourraient éventuellement faire l’objet d’une diffusion internationale (via Interpol), ou tout du moins, européenne (via le mandat d’arrêt européen).
Bon à savoir : L’article 689-11 du Code de procédure pénale consacre la compétence universelle des juridictions françaises pour juger des crimes les plus graves. |
La validité en question
Le Parquet national antiterroriste (PNAT) a par la suite introduit une requête en annulation à l’encontre du mandat visant le chef de l’Etat syrien seulement.
Il se questionne sur sa validité au regard de l’immunité de juridiction personnelle absolue dont bénéficient les chefs d’Etat en exercice.
Dans un arrêt du 26 juin, la cour d’appel de Paris a malgré tout validé le mandat d’arrêt émis par les juges d’instruction à l’encontre de Bachar al-Assad, accusé de complicité de crimes contre l’humanité. Elle rejette ainsi la requête en annulation du PNAT.
Elle estime en effet que, dans la mesure où la Syrie ne poursuivra jamais Bachar al-Assad, ne renonçant donc jamais d’elle-même à l’immunité personnelle dont il jouit, et compte tenu par ailleurs qu’aucune juridiction internationale n’est compétente (et ne peut l’être !), le mandat d’arrêt n’est entaché d’aucune nullité.
C’est donc la première fois qu’une juridiction nationale fait fi de l’immunité de juridiction personnelle d’un chef d’État étranger.
Quelles suites ?
Le mandat d’arrêt validé, les parties civiles espèrent l’ouverture prochaine d’un procès.
Pour autant, c’est un procès sans accusés qu’il faudra certainement envisager.
En effet, le bénéfice de l’immunité de juridiction reconnue aux chefs d’État en exercice qui interdit normalement à un État étranger de les poursuivre devant ses propres juridictions nationales – exception faite de la compétence de la CPI en la matière, article 27 de son Statut – est consacré par le droit international coutumier.
Il est donc à douter que le procureur de la République puisse diffuser à l’international les mandats par le biais d’une « notice rouge » Interpol, ou que lesdits mandats soient pris en compte par d’autres États, à l’exception, peut-être, des États membres de l’Union Européenne.
Mais là encore, peu de chance que Bachar al-Assad se déplace sur le territoire européen…