La Conférence des Nations unies sur l’océan, qui se tient à Nice jusqu’à 13 juin, pourrait être le porte-voix d’un mouvement mondial de création des mécanismes juridiques innovants pour défendre les droits des milieux marins.
Cette chronique partenaire est rédigée par Marine Calmet, fondatrice et présidente de l’ONG Wild Legal, pour JusticeInfo.net.
Au moment où se tient à Nice la Conférence des Nations unies sur l’Océan, un tournant politique s’amorce à l’horizon : reconnaître la personnalité juridique de l’océan et mettre en place de nouveaux mécanismes pour défendre ses droits.
Le visage actuel de l’océan est celui d’un écosystème en détresse. Aucun modèle prédictif ne parvient à dessiner avec certitude ce qu’il adviendra de la vie marine dans les décennies à venir, tant les signaux d’alarme sont nombreux : effondrement des populations de poissons, blanchissement massif des récifs coralliens, disparition d’espèces emblématiques.
Le dérèglement climatique, qui réchauffe les eaux de surface et perturbe les grands courants marins, déstabilise profondément les chaînes alimentaires. Les polluants chimiques, les microplastiques, l’exploitation minière des fonds et la pêche industrielle amplifient l’effondrement des habitats côtiers et profonds.
Dans cette involution rapide, la survie de notre propre espèce est également en jeu. Nous ne pourrons traverser ce siècle qu’en renouant une alliance avec les autres vivants marins — à condition, d’abord, de mettre fin à la guerre invisible que nous leur livrons.
Un espace de « non-lieu » juridique
Or, pourquoi l’océan, si vital, est-il si peu protégé ? Parce qu’il reste, dans l’imaginaire collectif, dans notre boussole juridique et dans les politiques publiques, un « non-lieu ». Trop vaste, trop inaccessible, trop silencieux. Il est le dernier territoire de chasse industrielle à ciel ouvert, un espace où l’appropriation prévaut sur la cohabitation.
La mer est perçue comme un réservoir de ressources, un dépotoir, une surface de navigation ou un paysage de carte postale. Mais jamais — ou trop rarement — comme le milieu de vie d’une nation autre qu’humaine, du peuple de l’océan.
Les créatures marines sont considérées comme des res nullius, des choses sans maître. Et contrairement au droit de propriété qui protège ceux qui les pêchent, il n’existe pas pour qui veut les défendre, de droit de vivre avec elles, tout comme elles n’ont pas de droits propres à invoquer face aux activités extractives.
Cette absence d’égards juridiques, n’est plus uniquement un problème éthique regrettable, mais un réel obstacle à la fois biologique, pour notre survie en tant qu’espèce, et ontologique, en tant que civilisations.
En négligeant la reconnaissance de la valeur et des droits intrinsèques de la vie marine, nous scellons notre propre impuissance à garantir la durabilité des systèmes de vie sur la planète Terre.
L’Équateur, pionnier des droits de la mer
Notre édifice législatif, loin d’être intangible, pourrait être renforcé par l’arrivée de nouvelles architectures juridiques.
Le 28 novembre 2024, la Cour constitutionnelle de l’Équateur a rendu une décision historique, affirmant pour la première fois que les écosystèmes marins et côtiers sont titulaires de droits fondamentaux.
Ce jugement affirme que « les écosystèmes marins et côtiers ont une valeur intrinsèque et chacun de leurs éléments a un rôle individuel qui, à son tour, contribue à leur préservation dans son ensemble. Par conséquent, il est nécessaire d’adopter des mesures pour garantir, de manière globale, leurs processus vitaux ».
Il crée un précédent dans l’histoire du mouvement des droits de la nature au niveau mondial et, au-delà des frontières équatoriennes et pourrait influencer de prochaines jurisprudences.
L’Équateur ouvre la voie à une conception du droit environnemental réellement écocentrique et offre des outils concrets aux juges, collectivités et citoyens qui souhaitent protéger les écosystèmes marins.
Baleines et dauphins libres à Malibu
Car l’Équateur n’est pas le seul État œuvrant en ce sens. En Espagne, la lagune Mar Menor est depuis 2022 le premier écosystème européen reconnu sujet de droit, disposant d’un comité de gardiennes et gardiens pour assurer sa représentation et sa défense.
Aux États-Unis, de nombreuses villes se sont engagées par des déclarations à veiller au respect des droits des cétacés. En 2014, la ville de Malibu a ainsi publié une proclamation affirmant le droit des baleines et des dauphins à la liberté. Le texte stipule que « le conseil municipal de Malibu soutient le libre passage en toute sécurité de toutes les baleines et de tous les dauphins dans nos eaux côtières. »
Ces exemples montrent qu’une nouvelle culture juridique émerge. Elle rompt avec l’idée que la nature serait un gisement de ressources et de stocks, à gérer, marchandiser ou conserver, mais un milieu vivant à défendre, un tissu d’interdépendances entre des êtres dont le destin et le nôtre sont intimement liés.
Ces avancées ne relèvent pas de l’utopie, mais de la mise en œuvre concrète d’un droit du vivant visant à offrir de nouveaux leviers juridiques et politiques face aux enjeux du XXIe siècle.