Vers une remise en question de la délégation de service public ?

Dérapage, déficit, dégradation… Et si ces trois « dés » portaient une face commune ? Facteur parmi d’autres, la DSP est en ligne de mire de la Cour des comptes dans son rapport du 19 décembre.

Cette chronique partenaire est rédigée par Charlotte Culine, fondatrice du journal L’À-Propos.

Selon l’article L. 1411-11 du Code général des collectivités territoriales, « une délégation de service public est un contrat par lequel une personne morale de droit public confie la gestion d’un service public dont elle a la responsabilité à un délégataire public ou privé, dont la rémunération est substantiellement liée aux résultats de l’exploitation du service ».

Une délégation de service (DSP) peut donc être comprise comme une prestation de service d’intérêt général, commandée par une collectivité (une région, un département, une mairie ou encore une intercommunalité) à une entreprise de droit privé.

Cette délégation conditionne la manière avec laquelle les services publics, auxquels vous avez recours au quotidien, sont dispensés. Elle peut ainsi concerner un service public administratif (SPA), comme les crèches, ou un service public industriel et commercial (SPIC), comme la SNCF jusqu’en 2020.

Faire du public avec du privé

La délégation de service public n’est pas chose nouvelle. Dès 1958, de nombreux services municipaux sont déjà délégués à des entreprises privées pour des missions de service public comme l’eau, la gestion des déchets et les transports urbains (Parisienne ou Lyonnaise des Eaux).

Le tournant majeur de la gestion du service public ne prend pourtant forme qu’à partir des années Mitterrand. En ligne de mire, le manque d’optimisation des deniers publics par les administrations et les nombreux scandales de détournements comme l’affaire Urba.

C’est la loi Sapin de 1993, qui viendra apporter des conditions de transparence et de mise en œuvre en consacrant le terme de « délégation de service public », sa définition et son cadre juridique.

Cet effort de faire perdurer la DSP et de l’encadrer, plutôt que de remettre la gestion des services publics à l’autorité publique pour en éviter les détournements, suivait initialement l’objectif de relancer l’investissement public. En effet, ces délégations ont plusieurs avantages pour les collectivités mandataires.

Des avantages économiques pour les collectivités

Le premier et principal, est que la responsabilité judiciaire et financière du service repose sur l’entreprise (à part dans le cas d’une régie intéressée). En limitant le risque pour les collectivités, il est supposé par le pouvoir public que les collectivités oseraient développer davantage de nouveaux services publics sur leurs territoires.

C’est là l’une des différences principales entre le public et le privé lucratif. Si ce dernier peut mobiliser une force d’investissement supérieure, c’est grâce à des investisseurs qui soutiennent financièrement le lancement de leur activité dans l’attente d’un retour sur investissement.

Une collectivité, si elle voulait investir davantage, ne pourrait le faire que par le moyen de ses recettes fiscales, comme la taxe foncière, et des crédits octroyés par l’État.

Le secteur public passe donc par le secteur privé pour élargir son offre de services, en laissant une certaine marge de manœuvre dans leur exécution pour assurer la pérennité économique des missions déléguées.

Le second avantage d’une entreprise privée est sa capacité à optimiser ses coûts. En mutualisant ses capacités, en se fournissant en gros, en diversifiant son activité, une entreprise privée dispose de leviers économiques lui permettant de réduire ses propres coûts de fonctionnement.

En outre, la couverture territoriale et les potentielles filiales d’une entreprise sont bien plus larges que celles d’une seule collectivité, lui permettant de multiplier les effets des leviers susmentionnés.

Des méthodes de financements rationnalisées

S’il y a bien un point d’attention à souligner dans la définition d’une DSP, c’est que la rémunération de l’entreprise gestionnaire est directement liée au résultat d’exploitation du service.

En pratique, les méthodes de financements varient en fonction des formes de délégations : concession, affermage, quasi-régie, régie, mode de gestion internalisée ou externalisées.

La multiplicité de ces formes de délégations doit permettre de s’adapter à la nature et aux besoins du service effectué.

Selon leur statut, les entreprises se rémunèrent soit par les redevances demandées aux usagers, soutenus parfois par des crédits d’impôts, soit par des taxes, soit par des subventions calculées sur la quantité de tâches réalisées.

Avec des effets secondaires sur la qualité des services

Les méthodes de financement du public au privé sous contrat suscitent de vives critiques. La mobilisation du personnel hospitalier contre la dégradation de leurs conditions de travail et de la qualité des prises en charge des patients ont déjà remis en cause la pertinence de ces méthodes. En cause, la logique de performance suscitée par le lien direct entre financement et nombre de tâches effectuées.

L’objectif d’optimisation des coûts des services publics mène à les soumettre de plus en plus à des objectifs jusqu’ici réservés au secteur privé à but lucratif, comme la rentabilité et la mise en concurrence.

La Cour des comptes, dans son dernier rapport sur le sujet qualifie la DSP « d’angle mort » de la gestion publique. Ce rapport constate par ailleurs une forme d’évaporation des deniers publics vers le secteur privé, faute de contrôle financier suffisant des collectivités locales, allant même jusqu’à souligner que « certains contrats de délégation de services publics prévoient dès leur signature une rentabilité élevée, sinon excessive ».  

Au-delà de rémunérer le fonctionnement du service, les subventions publiques servent souvent à rémunérer les investisseurs.

Les gestionnaires privés de services publics sont donc mus par une double impulsion, tirant les toujours prix vers le bas à défaut de la qualité. D’un côté, ils doivent répondre aux attentes des autorités publiques tout en assurant la rémunération de leurs investisseurs privés. Ce tiraillement aboutit à imputer une double peine à la qualité des services proposés.

Entre casser les prix pour gagner les appels d’offre des collectivités et maximiser l’optimisation des coûts de fonctionnement pour dégager une marge, la qualité du service rendu ne résiste souvent pas aux priorités des entreprises déléguées.

Un objectif de contrôle manqué

Globalement, l’objectif de la loi Sapin de rendre plus transparent et de mieux contrôler la gestion déléguée des services publics face aux fraudes des années 1980 n’a pas su s’adapter à un nouveau défi : celui de la financiarisation des services publics.

Ainsi, les administrations compétentes ne sont souvent pas dotées de suffisamment de pouvoirs de contrôle pour surveiller l’emploi des financements publics au sein d’entreprises privées.

L’administration ne peut donc pas connaître ni la part de coûts effectifs de la conduite des missions déléguées, ni la part de profits dégagés des subventions des collectivités ou leviers fiscaux attribués par l’État.

Après quelques cas de dérive dans la gestion des services publics, la DSP pose donc plusieurs cas de conscience à l’autorité publique. Dans un contexte de déficit budgétaire et de réduction de la dépense publique, l’appui d’entreprises privées pour assurer la continuité du service public semble justifié.

Pourtant, les risques de dégradation de la qualité de services et de récupération de financements publics à visée mercantile doivent interroger sur les garde-fous à construire pour les éviter.

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