Guerre Israël – Hamas : dans les coulisses du coup d’éclat du procureur de la CPI

Le procureur de la Cour pénale internationale, Karim Khan, a demandé, pour la première fois, cinq mandats d’arrêt contre des dirigeants d’Israël et du Hamas. Retour sur les dessous de cette procédure.

Cette chronique partenaire est proposée par Janet H. Anderson, correspondante à La Haye pour le média JusticeInfo.net.

Depuis quelques semaines, les spéculations allaient bon train. Les responsables de la Cour pénale internationale (CPI) seraient sur le point de lancer la plus grosse bombe de l’histoire de la Cour : un mandat d’arrêt non seulement à l’encontre d’un chef d’État en exercice, mais aussi à l’encontre d’un proche allié de nombreux États membres de la Cour.

Et surtout, un allié encore plus proche d’un pays sur lequel la CPI s’est largement appuyée en coulisses : les États-Unis. La Cour n’a jamais inculpé un chef d’État soutenu par l’Occident.

Le 20 mai dernier, le procureur de la CPI, Karim Khan, a annoncé avoir demandé cinq mandats d’arrêt.

Deux d’entre eux concernent des responsables israéliens : Benjamin Netanyahu, le Premier ministre, et Yoav Gallant, le ministre de la Défense.

Les trois autres concernent le chef du Hamas à Gaza, Yahya Sinwar, le chef de la branche militaire du Hamas, les Brigades Al-Qassam, Mohammed Deif, et le chef politique du mouvement, Ismail Haniyeh.

Tous sont soupçonnés d’avoir commis des crimes contre l’humanité, y compris des crimes d’extermination, et des crimes de guerre.

En faisant cette annonce contre les dirigeants d’Israël et du Hamas, le procureur fait preuve d’impartialité de manière très délibérée.

Il précise également qu’en coulisses, il a soigneusement consulté des experts avant de rendre son annonce publique à La Haye, un jour férié aux Pays-Bas.

Veuillez vérifier mes travaux

La machine de la CPI s’appuie sur le bureau du procureur pour produire des preuves qui sont ensuite évaluées par les juges de la Chambre préliminaire avant que des mandats d’arrêt puissent être délivrés. Ce sont les juges qui décident.

Dans ce cas, le procureur a, toutefois, usé d’une outil supplémentaire, en faisant prudemment corriger ses devoirs avant d’envoyer son offre aux juges.

Un groupe d’experts en droit international, spécialement constitué à cet effet, a eu accès aux preuves et a été invité à juger « s’il y a des « motifs raisonnables de croire » que les personnes désignées dans les mandats ont commis des crimes relevant de la compétence de la Cour ».

Il ne leur a pas été demandé de juger certains des autres critères du procureur, à savoir si les dossiers préliminaires étaient suffisamment graves et s’il pouvait y avoir débat sur la capacité d’Israël à juger de ces crimes au sein de ses propres tribunaux.

L’équipe A ?

Karim Khan est le troisième procureur de l’institution et il a fixé ses propres priorités.

Jusqu’à présent, son mandat s’est caractérisé par la priorité qu’il accorde aux enquêtes déléguées par le Conseil de sécurité des Nations unies et par sa volonté de clore certains vieux dossiers.

Il a également mis l’accent sur la responsabilité des autorités nationales d’enquêter elles-mêmes, parfois avec le soutien de la CPI, et – en raison de la volonté des pays occidentaux de voir les responsables des crimes internationaux en Ukraine rendre des comptes -.

Dans les documents de presse annonçant la nouvelle, Karim Khan est entouré de deux membres clés de son cabinet : Andrew Cayley et Brenda Hollis.

Brenda Hollis, une ancienne avocate militaire américaine, était déjà en place et travaillait directement pour Karim Khan en supervisant les enquêtes sur l’Ukraine qui ont abouti – jusqu’à présent – à quatre mandats d’arrêt, pour deux séries différentes de crimes présumés.

Elle a été procureur auprès de plusieurs tribunaux internationaux et s’est occupée de l’enquête indépendante sur les manquements du bureau du procureur de la CPI dans le cadre de l’enquête sur le Kenya.

Les équipes chargées de l’Ukraine et de la Palestine rendent compte directement à Karim Khan, et non aux procureurs adjoints qui gèrent le travail quotidien des 15 autres enquêtes en cours et des procès qui y sont associés.

La balle aux juges

La prise de décision incombe, désormais, à la chambre préliminaire de la Cour dirigée par la Roumaine Iulia Motoc et par deux autres juges, Reine Alapini-Gansou (Bénin) et Nicolas Gissou (France).

Ce dernier a remplacé la juge mexicaine initialement désignée, qui avait demandé à être remplacée parce que le poste de vice-ministre des Affaires étrangères du Mexique occupé par son mari « pouvait affecter l’apparence d’impartialité ».

La décision de la présidence de la Cour a été prise en avril, mais n’a été rendue publique que le 20 mai. Elle a été gardée secrète « en raison d’importantes spéculations médiatiques concernant l’activité de la Cour dans la situation de l’État de Palestine et du désir d’éviter tout risque que la demande puisse être perçue comme confirmant ces spéculations ».

Aucun délai n’est donné aux juges pour évaluer les preuves présentées par le procureur avant de convenir ou non qu’il existe des « motifs suffisants » justifiant la délivrance d’un mandat d’arrêt.

Iulia Motoc est elle-même considérée comme l’un des juges les plus expérimentés de la Cour, bien qu’elle ne l’ait rejointe qu’en mars dernier. Elle a « exercé les fonctions de juge au niveau national, régional et mondial pendant 20 ans », y compris à la Cour européenne des droits de l’homme, selon le questionnaire officiel soumis aux États parties pour évaluer ses aptitudes.

Elle écrit également qu’ « il est primordial que les organes de la Cour puissent mener leurs activités judiciaires et de poursuite librement et sans ingérence politique de la part des États parties ou de toute autre force extérieure ».

Et, « comme dans un contexte national, les juges doivent être éternellement vigilants pour limiter l’impact des organes politiques à leur propre champ et ne pas les laisser influencer des tâches essentiellement judiciaires ».

Une forte pression politique

Mais la pression politique sur la Cour de La Haye se poursuivra, comme en témoignent les réactions des États-Unis, d’Israël ou du Hamas immédiatement après l’annonce de Karim Khan.

L’entreprise comprend donc des enjeux considérables, et les preuves devront être d’une qualité telle que les juges pourront convenir que le processus mérite d’aller de l’avant.

« Avant de devenir conseiller spécial [de Karim Khan], j’ai passé des années à critiquer la CPI pour avoir fait de la politique avec la justice pénale internationale. Je peux affirmer sans réserve que je n’ai jamais entendu quelqu’un de l’équipe palestinienne discuter des implications politiques de la demande de mandats d’arrêt. Pas une seule fois », a écrit le 20 mai le conseiller spécial sur les crimes de guerre, Kevin Jon Heller, sur X (ex-Twitter).

Le procureur a déclaré que l’enquête sur la Palestine se poursuivait. Il est donc peu probable que cette annonce soit la dernière.

De nombreuses questions subsistent quant à l’étendue de l’enquête et sur le fait de savoir si le procureur s’attaquera à certains sujets latents, comme les colonies dans les territoires occupés, au-delà du conflit actuel.

À lire aussi : Conflit Hamas- Israël : en quoi consiste le droit de veto à l’ONU ?

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