Justice : discrimination à l’embauche, la grande oubliée

EXCLUSIF. La justice considère très peu la discrimination à l’embauche, d’après un rapport confidentiel de Predictice. Les campagnes de testing n’y changent rien.

Les tests luttant contre les discriminations à l’embauche seront-ils bientôt généralisés ? C’est en tout cas l’une des mesures du plan national présenté par la Première ministre, Elisabeth Borne, le 27 octobre dernier.

Il s’agirait d’envoyer, pour la même offre d’emploi, deux CV identiques avec comme uniques différences l’origine du candidat et/ou une adresse dans un quartier populaire.

Cette campagne de test sera mise en œuvre dans plusieurs secteurs d’activité en concertation avec les organisations syndicales et des associations locales.

Les entreprises exerçant des discriminations seront pénalisées. Leur pratique sera rendue publique et elles pourraient être condamnées à une amende.

54 % des salariés concernés

Rappelons-le, la discrimination à l’embauche est déjà interdite par l’article L.1132-1 du Code du travail. Le recruteur est libre de choisir son ou sa candidate, mais dans une certaine limite.

Or, 74 % des salariés français, interrogés par l’organisme Cegos en juillet 2022, disent avoir déjà été témoins d’au moins une forme de discrimination et 54 % de l’avoir subie directement. Ces discriminations s’exercent principalement lors du recrutement ou de l’intégration dans l’entreprise.

L’origine du candidat est la discrimination la plus courante rencontrée (64 %), d’après une étude Adecco-Ipsos de mars 2023. L’apparence physique (50 %), l’âge (44 %), le handicap (34 %), le sexe (30 %) et les convictions religieuses (27 %) suivent.

Si vous vous trouvez dans cette situation, plusieurs possibilités s’offrent à vous. Vous pouvez vous tourner vers le Défenseur des droits. En fonction des éléments, ses juristes pourront effectuer une enquête auprès de l’entreprise et la rappeler à l’ordre si besoin.

En complément, vous pouvez aussi saisir le conseil des prud’hommes. Vous disposez d’un délai de 5 ans pour faire annuler la décision de non embauche fondée sur un motif discriminatoire et obtenir réparation du préjudice.

44 affaires portées devant la justice

Dans les faits, peu d’affaires de ce type se retrouvent devant un juge.

Malgré un taux d’acception de 66 %, les cas avec témoins ne sont pas toujours reconnus comme tels.

Par exemple, le 29 juin 2023, la cour d’appel de Poitiers a rendu une décision concernant un litige entre Monsieur [HS] et la société Fenwick-Linde Opérations. Monsieur [HS] prétendait avoir été discriminé dans le cadre d’une campagne de recrutement pour un poste de cariste en raison de son origine maghrébine. Il demandait au juge de reconnaître la discrimination et de condamner la société à lui verser 30 000 € de dommages-intérêts ainsi que 3 500 € au titre des frais de procédure.

La société, quant à elle, contestait toute discrimination et demandait de confirmer le jugement du conseil de prud’hommes qui avait débouté Monsieur [HS] de ses demandes.

La cour d’appel a examiné les éléments fournis par les deux parties, notamment les diplômes de Monsieur [HS], les témoignages des collègues et les lettres de recommandation.

Après analyse, le juge a conclu qu’il n’y avait pas de preuve suffisante de discrimination et a confirmé le jugement du conseil de prud’hommes, déboutant Monsieur [HS] de ses demandes.

L’importance du Défenseur des droits

De son côté, le conseil des prud’hommes de Boulogne-Billancourt, le 10 mai 2022 a été saisi par une clerc de notaire. D’après ses dires, elle avait été écartée du processus de recrutement d’un poste à temps partiel car elle est une travailleuse handicapée.

La SCP Z, l’employeur, a soutenu que le refus était dû au besoin d’un temps complet pour le poste. Le Défenseur des droits est intervenu dans l’affaire et a conclu à une discrimination en raison du handicap. Le conseil a jugé que le comportement de la SCP Z était discriminatoire et a condamné l’employeur à verser à la clerc de notaire des dommages et intérêts pour discrimination à l’embauche, préjudice moral et sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile.

Dans cette affaire, l’enquête du Défenseur des droits a été décisive.

Peu d’indemnités

Même lorsque votre situation est reconnue comme une discrimination à l’embauche, après un délai moyen de 2 ans et quatre mois entre le conseil des prud’hommes et la cour d’appel, vous n’obtenez pas systématiquement des indemnités.

D’après le rapport de Predictice, seules 10 affaires sur cinq ans ont donné lieu à des indemnités symboliques.

Extrait du rapport d’analyse “Discrimination à l’embauche” de Predictice.

À écouter : Les erreurs à éviter lors d’un entretien d’embauche

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