Au cœur de la politique mondiale en enquêtant sur le conflit israélo-palestinien, la Cour pénale internationale subit de nombreuses pressions internationales.
Cette chronique partenaire est proposée par Janet H. Anderson, correspondante à La Haye pour le média JusticeInfo.net.
Au moment où la Cour pénale internationale se prépare à sa réunion annuelle, en décembre, avec les États membres pour établir le budget, les fissures apparaissent. L’enquête sur le conflit israélo-palestinien l’a placée au cœur de la politique mondiale.
L’institution est confrontée à des pressions sur de multiples fronts, de l’extérieur comme de l’intérieur. Et les partisans de la Cour se demandent si les États prendront des mesures pour protéger l’institution qu’ils ont négociée en 1998.
Début octobre, 20 Palestiniens ont déposé une plainte pénale auprès du ministère public néerlandais (Openbaar Ministerie) pour entrave et pression sur l’enquête de la CPI sur la « situation dans l’État de Palestine » et pour harcèlement, intimidation, pression et diffamation à l’encontre du personnel de la CPI, y compris son procureur, dans le cadre de cette enquête.
Leurs avocats fondent leur plainte sur les enquêtes menées par des journalistes sur une campagne d’intimidation menée par les services de renseignement israéliens à l’encontre de Fatou Bensouda, la prédécesseuse de Karim Khan.
Ils affirment – sur la base de ce travail des médias – que « l’enquête néerlandaise devrait se concentrer sur les (hauts) membres de l’appareil de sécurité israélien ».
Selon Danya Chaikel, représentante de la Fédération internationale des droits de l’homme auprès de la Cour, « la diplomatie seule ne résoudra manifestement pas le problème, et une action en justice est nécessaire pour que les responsables rendent des comptes et pour préserver l’intégrité de la Cour ».
Des pressions américaines
La Palestine a accepté la compétence de la Cour et déposé son instrument d’adhésion au Statut de la CPI en janvier 2015. Selon l’enquête du Guardian, les services de sécurité extérieure israéliens, le Shin Bet, la direction du renseignement de l’armée, Aman, et la division du cyber-espionnage, l’Unité 8200, ont été impliqués à partir de cette date dans des opérations visant la CPI.
Une pression sur la CPI a également été exercée par le principal soutien d’Israël, les États-Unis. « Les sanctions américaines de 2020 ont visé les hauts fonctionnaires de la CPI, y compris l’ancienne procureure Bensouda, en perturbant leur accès aux services bancaires mondiaux, ce qui a entraîné le refus des banques non américaines de fournir certains services, la perte d’une couverture des assurances et des difficultés à conclure des contrats avec de nombreux fournisseurs commerciaux », rappelle Danya Chaikel.
L’Illegitimate Court Counteraction Act de 2023 votée par le Sénat américain « imposait des sanctions contre les employés et associés de la Cour pénale internationale (CPI) si la CPI enquêtait ou poursuivait certains individus », y compris « des membres des forces armées d’alliés ou de partenaires des États-Unis ».
Douze sénateurs républicains américains ont menacé Karim Khan de sanctions dans une lettre en avril dernier, juste avant que le procureur de la CPI ne rende publiques ses demandes de mandats d’arrêt contre le premier ministre israélien Benjamin Netanyahu et le ministre de la défense Yoav Gallant.
« Si vous délivrez un mandat d’arrêt contre les dirigeants israéliens, nous l’interpréterons non seulement comme une menace pour la souveraineté d’Israël, mais aussi pour celle des États-Unis. Notre pays a démontré à travers la Loi sur la protection des militaires américains jusqu’où nous sommes prêts à aller pour protéger cette souveraineté », écrivent les sénateurs, dont Mitch McConnell, le chef de file des républicains au Sénat américain. « Ciblez Israël et nous vous ciblerons… Vous êtes prévenus. »
Une période critique pour la Cour
En mai 2024, le bureau du procureur de la CPI a averti toute personne tentant d’interférer avec les procédures de la Cour que de telles actions pourraient constituer des infractions contre l’administration de la justice en vertu de l’article 70 du statut de Rome, le traité fondateur de la CPI, et qu’elles devaient cesser immédiatement.
Le même mois, la présidence de l’Assemblée des États parties de la Cour a exprimé sa « préoccupation » concernant les « récentes déclarations publiques » à propos de l’enquête sur la Palestine. « La présidence regrette toute tentative de porter atteinte à l’indépendance, à l’intégrité et à l’impartialité de la Cour. Certaines déclarations peuvent constituer des menaces de représailles à l’encontre de la Cour et de ses fonctionnaires, au cas où la Cour exercerait ses fonctions judiciaires comme le prévoit le Statut de Rome », a-t-elle déclaré dans un communiqué de presse.
Les États membres de la Cour pénale internationale ont élaboré leur propre guide pour faire face aux attaques contre leur cour. En juin dernier, 93 États ont publié une déclaration commune exprimant leur « soutien indéfectible à la Cour en tant qu’institution judiciaire indépendante et impartiale ».
Selon Danya Chaikel, « les États membres de la CPI doivent de toute urgence défendre activement l’indépendance et la survie même de la Cour, car la CPI n’est pas conçue pour résister seule à ces menaces et à ces attaques ».
Virginie Amato, de la Coalition pour la CPI, une ONG, décrit la situation actuelle comme un moment critique pour la Cour, car même si « tout cela s’est déjà produit dans le passé », les pressions ont « redoublé, avec des risques plus importants cette année ». Elles « visent toutes à saper l’indépendance et le travail de la Cour. »
La Cour souffre encore des conséquences d’une grave cyberattaque, suivie de cyber-menaces et de nouvelles tentatives d’attaques, comme l’indique la proposition de budget qui demande une augmentation de 10 % par rapport à l’année dernière, dont plus de 4 millions pour la cybersécurité.
Allégations de harcèlement sexuel
Fin octobre, un compte anonyme, a tweeté des détails sur une plainte présumée de harcèlement sexuel à l’encontre du procureur de la CPI.
Les allégations ont été reprises dans un article d’un journal britannique dans lequel Karim Khan est « accusé de mauvaise conduite dans le cadre d’allégations de harcèlement impliquant une collègue ».
Le Mécanisme de contrôle indépendant (MCI), qui est chargé d’enquêter sur les allégations de mauvaise conduite de la part du personnel du tribunal, a écrit que « la personne présumée affectée a refusé de déposer une plainte officielle auprès du MCI » et que « la personne présumée affectée a refusé de confirmer ou de nier explicitement au MCI la base factuelle de ce qui avait été rapporté par une tierce partie au MCI ».
Selon le Daily Mail, Karim Khan a nié tout acte répréhensible et « a suggéré une campagne de diffamation délibérée, affirmant que lui et le tribunal étaient soumis à “un large éventail d’attaques et de menaces” ».