L’espoir altéré de l’enquête de la CPI sur la Palestine

La lenteur des enquêtes du procureur de la Cour pénale internationale sur la situation en Palestine est vivement critiquée depuis le début du conflit. Son engagement va-t-il changer ?

Cette chronique partenaire est proposée par Janet Anderson, correspondante à la Haye du média Justiceinfo.net.

Sur fond d’images horribles de villes israéliennes attaquées par l’organisation militaire palestinienne Hamas et d’une déclaration de guerre par Israël aux habitants de la bande de Gaza, la lente enquête de la Cour pénale internationale (CPI) sur les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité présumés dans les territoires palestiniens occupés a, à peine, été mentionnée.

Contrairement à l’invasion russe à grande échelle de l’Ukraine en 2022, lorsque de nombreux pays ont immédiatement saisi le bureau du procureur de la CPI, aucun État n’a demandé à ce dernier d’intensifier son travail sur la Palestine et de poursuivre les crimes présumés.

Un intérêt de longue date

Lorsque l’Autorité palestinienne a fait campagne pour devenir membre de la Cour après les incursions israéliennes de 2008 et 2009, elle s’est inscrite dans une stratégie à plusieurs volets de défense du droit et de construction de l’État.

L’objectif était de faire pression sur Israël dans les enceintes internationales, de fournir un mécanisme alternatif au processus de paix enlisé, d’affirmer la souveraineté palestinienne et d’offrir éventuellement une réparation à certaines des victimes de l’occupation israélienne et des interventions militaires brutales dans les territoires palestiniens de Cisjordanie et de Gaza.

Malgré plusieurs déclarations de procureurs de la CPI, il a fallu attendre 2021 pour que la juridiction internationale ouvre officiellement une enquête sur la situation en Palestine.

Depuis lors, l’engagement de la CPI sur les violations répétées des droits de l’homme dans les territoires palestiniens occupés piétine.

Aujourd’hui, le procureur fait face à de nombreux appels de la part des ONG et du milieu de la défense des droits de l’Homme pour que son bureau s’engage pleinement.

L’étendue de l’enquête inconnue

De nombreux cas de crimes graves présumés ont été évoqués depuis 2014, alors que la guerre actuelle à Gaza fait des milliers de victimes.

Le bureau du procureur refuse, pourtant, de se prononcer sur ses enquêtes. « Je ne peux pas vous dire quelles sont nos lignes d’enquête dans n’importe laquelle de nos situations. Il ne s’agit pas seulement de la Palestine. Nous ne partageons pas vraiment ouvertement ce que nous examinons, et ce pour de bonnes raisons. Non seulement nous ne voulons pas compromettre la sécurité et la protection que nous assurons aux témoins dans des domaines particuliers, mais nous ne voulons certainement pas mettre la puce à l’oreille de quiconque quant à ce que nous examinons à un moment donné. », répondait la procureure adjointe Nazhat Khandans un entretien à Justice Info en août dernier.

Dans le conflit actuel, des crimes de guerre présumés commis par toutes les parties sont susceptibles d’être mis en lumière, notamment les actions des combattants du Hamas tuant des civils et en prenant d’autres en otage, les bombardements aveugles des forces israéliennes ou, éventuellement, la coupure de l’approvisionnement en électricité et en nourriture de la bande de Gaza.

Des preuves suffisantes

Néanmoins, la CPI est généralement appelée à se concentrer sur les principaux responsables. Le bureau du procureur doit donc trouver des preuves démontrant clairement que quelques individus peuvent être tenus personnellement responsables.

« La situation en Palestine en général, en particulier les colonies, est peut-être l’une des plus documentées de l’histoire moderne », affirme Ahmed Abofoul de l’organisation palestinienne de défense des droits de l’homme Al-Haq. « Le critère de la recevabilité est déjà déterminé et il n’est pas nécessaire de recueillir une preuve matérielle. Cela peut être prouvé sans avoir accès au territoire », poursuit-il.

En effet, aucun représentant de la Cour ne s’est officiellement engagé sur le terrain avec les autorités israéliennes ou palestiniennes.

Une collaboration en question

Un autre défi majeur pour les enquêteurs de la CPI est l’évaluation de l’existence d’efforts locaux pour sanctionner les individus et leur faire rendre compte de leurs actes, puisque la Cour ne peut théoriquement se déclarer compétente que lorsque les systèmes de justice nationaux n’ont pas agi ou n’ont pas pu le faire.

En 2019, le bureau du Procureur a estimé que, dans le cas du Hamas, « des affaires potentielles concernant des crimes présumés commis par des membres du Hamas et des groupes armés palestiniens  seraient actuellement recevables », mais que pour les forces israéliennes, un suivi des procédures devant les tribunaux israéliens serait nécessaire.

Yuval Shany, professeur à l’Université hébraïque de Jérusalem, souligne que les autorités militaires « ont été beaucoup plus transparentes dans la diffusion d’informations concernant les procédures judiciaires et les enquêtes » et que « le procureur général militaire a publié des rapports actualisés sur les enquêtes ».

Néanmoins, les débats politiques en Israël sont marqués depuis peu par un questionnement sur l’indépendance de sa justice. Sa remise en cause pourrait affecter l’évaluation par la CPI de la nature réelle des poursuites.

Un budget limité

La lenteur de la CPI pourrait s’expliquer aussi par le budget dédié à l’enquête sur la Palestine.

Il se chiffre à un million d’euros par an, ce qui se situe au bas de l’échelle des ressources allouées, en particulier pour une situation aussi vaste, complexe et persistante. Des demandes ont été faites d’augmentation du personnel, de la protection des témoins, et un renforcement des activités du Fonds au profit des victimes de la Cour, mais rien n’indique une augmentation significative du budget.

Pour sa part, le procureur actuel, Karim Khan dénonce de ce qu’il considère comme une « déconnexion totale entre la réalité et la polémique » dans les critiques sur l’approche de son bureau à l’égard de l’enquête en Palestine.

« Lorsque j’ai hérité du bureau, dit-il, il n’y avait même pas d’équipe » pour la Palestine. « Je dois essayer de gérer efficacement les ressources dont nous disposons, et la Palestine et Israël n’ont pas été oubliés », a-t-il expliqué lors d’une intervention à l’Institut britannique de droit international et comparé.

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