Les banques, nouvelles cibles des recours climat

Après les États et les pétroliers, c’est au tour des banques d’être dans le viseur des recours des ONG en faveur du climat.

Cette chronique est proposée par Benjamin Bibas, journaliste de Justiceinfo.net.

La COP28 s’est  achevée à Dubaï (Émirats arabes unis), sous le signe du paradoxe incarné par son président, Sultan Ahmed Al Jaber, à la fois PDG de la compagnie pétrolière nationale et fondateur du géant émirati des énergies renouvelables.

« Aucune donnée scientifique ne prouve qu’il faille sortir des énergies fossiles pour tenir l’objectif de 1,5 °C » d’augmentation maximale de la température moyenne mondiale fixé par l’Accord de Paris (COP21 en 2015), expliquait-il dès le 21 novembre lors d’une conférence en ligne organisée par l’ONG She Changes Climate.

Le 6e rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec), publié en mars 2023, est pourtant clair. Une « sortie progressive » des énergies fossiles est nécessaire pour rester sous la barre des 1,5 °C d’augmentation. Et cela passe, ajoutent les experts, par une baisse des émissions mondiales de gaz à effet de serre d’au moins 84 % d’ici 2050.

Des États jugés responsables

À qui incombe la responsabilité d’enrayer cette descente aux enfers ? Politiquement, elle repose sur les gouvernements.

Selon le processus de négociations internationales sur le climat, ils sont chargés de réduire les émissions mondiales en fonction de leur responsabilité historique dans le stock de gaz à effet de serre présent dans l’atmosphère.

Mais « parce que les négociations climat n’avançaient pas, les communautés impactées, en lien avec des ONG climat, ont commencé à déposer des recours contre les États les plus riches émettant le plus de gaz à effet de serre », explique Lucy Maxwell, co-directrice du Climate Litigation Network piloté par l’ONG basée à Amsterdam Urgenda.

En 2015, le premier recours climat victorieux, porté à La Haye par Urgenda contre l’État des Pays-Bas, est truffé de données du Giec, validées les unes après les autres par le gouvernement néerlandais au fil des COP successives.

L’État a été condamné à accélérer la baisse de ses émissions, au motif qu’il n’avait pas respecté ses engagements internationaux et qu’il doit garantir les droits fondamentaux du peuple néerlandais, notamment le droit à la vie et le droit à jouir de sa propriété, menacés par le changement climatique.

Inspirés par le précédent néerlandais, d’autres recours victorieux contre des États suivent : celui de Friends of the Irish Environment contre l’Irlande (jugement de la Cour Suprême irlandaise en 2020), de Notre Affaire à tous contre l’État français (jugement du Tribunal administratif de Paris en 2021).

Plus encore récemment celui du Deutsche Umwelthilfe contre l’Allemagne (jugement du tribunal administratif de Berlin le 30 novembre) ou encore de Klimaatzaak contre l’État belge (jugement de la Cour d’Appel de Bruxelles le 30 novembre).

Les banques dans le viseur

En s’appuyant sur les données fournies par le Giec, l’AIE, ainsi que par IJ Global et Bloomberg, deux agences de référence en matière d’information énergétique et financière, un consortium international d’ONG publie depuis 2016 le rapport annuel Banking on Climate Chaos.

Il recense les financements dont bénéficient les plus grandes entreprises et projets d’extraction d’énergies fossiles dans le monde.

Ces données, complétées par l’étude Bombes Carbone ont eté relayées fin octobre dernier par un consortium international de médias dont Le Monde et The Guardian.

Les ONG du climat n’ont pas manqué de se saisir de ces nouvelles données.

En octobre 2022, Notre affaire à tous et deux autres ONG françaises ont mis en demeure BNP Paribas de cesser tout soutien financier à de nouveaux projets d’énergies fossiles afin que la seconde banque de la zone euro se conforme à l’objectif de limiter le réchauffement global à 1,5 °C.

Pour ce faire, elle s’est appuyée sur la loi française de « devoir de vigilance », qui oblige les entreprises de plus de 5 000 salariés à mettre en œuvre des mesures de prévention des atteintes aux droits humains et à l’environnement.

En novembre 2022, Milieudefensie a publié un classement des sept institutions financières néerlandaises les plus impliquées dans des projets d’extraction d’énergies fossiles en les enjoignant à s’en désengager. L’ONG a annoncé qu’une action en justice serait déposée en janvier 2024.

Quels nouveaux horizons ?

« L’importance de ces actions en justice est capitale, car énormément d’argent est encore alloué à ces projets d’extraction d’énergies fossiles, alors que le consensus scientifique a documenté les conséquences humanitaires catastrophiques d’une aggravation du changement climatique », estime Lucy Maxwell.

« Nous essayons de lancer des contentieux stratégiques et ayant un impact fort », abonde Justine Ripoll, responsable des campagnes de l’association Notre affaire à tous. « Contrairement à TotalEnergies, BNP Paribas peut plus facilement cesser son implication dans l’extraction d’énergies fossiles, sans que la totalité de son activité soit remise en cause ».

Après la première génération des recours climat contre les États, la deuxième génération contre les producteurs d’énergies fossiles, la troisième génération encore naissante contre les banques qui les financent, existe-t-il un nouvel horizon juridique ?

« Il est clair que nous regardons aussi ailleurs, par exemple du côté du secteur agroalimentaire, des entreprises responsables de la déforestation ou de l’élevage intensif avec ses émissions de méthane », poursuit Justine Ripoll. « Mais à ce stade, les données scientifiques et informations sur ces secteurs manquent de transparence ».

À lire aussi : COP28 à Dubaï, qu’est-ce qu’une COP ?

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